De nouvelles pistes à explorer pour assurer un revenu décent aux agriculteurs

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Alors que les coûts de production augmentent, les agriculteurs en colère exigent de meilleurs revenus. Parmi les solutions : le regroupement, pour peser plus et investir davantage. 

Crédit photo Gina Sanders/Adobe Stock
Diverses personnalités ont tenté, lors d'un débat organisé par les journalistes de la presse agricole au Parlement européen, de trouver de nouvelles pistes d'action afin de conjuguer revenus décents pour les agriculteurs et produits alimentaires à prix abordables pour les consommateurs. Au-delà d'une évolution de la Politique agricole commune et de mesures pour renforcer les petites exploitations, l'amélioration de l'efficacité des organisations, tout au long de la chaîne de valeur, a fait l'unanimité.

« Comment en vouloir aux consommateurs de manger des produits mauvais pour la santé, pour l'environnement et pour les producteurs agricoles nationaux, alors que la publicité, même en direction des enfants, ne va que dans ce sens ? » s'est emportée Camille Perrier, du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), lors d'un débat organisé au Parlement européen par les journalistes de la presse agricole, le 11 avril.

L'événement, qui se voulait « apaisé », avait pour objet une équation pour le moins difficile à résoudre, puisqu'il s'intitulait : « Comment conjuguer revenus décents pour les agriculteurs et produits alimentaires à prix abordables pour les consommateurs ? »

De fortes disparités de revenus chez les agriculteurs

Alan Matthews, professeur au Trinity College de Dublin et spécialisé dans les politiques agricoles européennes, a campé le décor, en notant le décalage, du fait de contrats annuels, qui a eu lieu ces derniers mois entre l'augmentation des coûts de production agricole et la hausse des prix payés aux producteurs, puis par les consommateurs.

Décalage qui tend, selon les données, à se résorber. Mais dans ce cas, comment expliquer les mouvements de colère des agriculteurs, qui perdurent ? « La raison tient aux disparités de revenus entre les petits paysans qui restent la majorité en Europe et souffrent encore et les grosses structures, qui s'en sortent mieux », a-t-il expliqué. Autant dire que le débat était lancé.

Comment répondre à cette situation ?

Faut-il, alors que le mouvement de consolidation est déjà en marche, accroître les surfaces des exploitations européennes pour qu'elles résistent mieux ? S'agit-il, comme le souhaite le gouvernement français, de mieux « gérer » le marché, avec, notamment, des prix planchers qui seraient payés aux agriculteurs, à l'échelle européenne ? Ou est-ce la PAC qu'il faut réformer ? Un peu des trois options, sans doute.

Des modèles industriels peu enviables

Mais attention, pas question de copier, en matière de taille, les modèles qui prévalent aussi bien en Ukraine qu'aux États-Unis ou au Brésil, pour les céréales, les bovins ou les poulets.

Ces organisations sont nocives pour l'environnement comme pour le bien-être animal, a souligné Jean-Luc Demarty. « Il faut effectivement promouvoir en Europe des fermes de taille suffisante et, surtout, améliorer la viabilité et la compétitivité des petites exploitations », a ajouté cet ancien directeur général du commerce extérieur de la Commission européenne (2011-2019), ancien directeur général adjoint et directeur général de l'agriculture de la Commission européenne (2000-2010) et ancien conseiller au cabinet de Jacques Delors.

Des prix administrés peu efficaces

Quant aux prix dits « administrés », le professeur Alan Matthews voit dans ce système plus d'inconvénients que d'avantages. « Comment, du fait des disparités en matière de taille des fermes et de revenus, calculer un coût de revient qui servirait de base ? Et qui le choisirait, in fine ? » s'interroge-t-il.

Faisant un parallèle avec d'anciennes politiques agricoles communes, qui avaient donné lieu à des excès de production et des montagnes de beurre, dans les années 1970, il répond derechef : « Il y a de fortes chances pour que ce système soit biaisé en faveur des plus gros producteurs, de lait ou autres. »

Des marges faibles, selon la grande distribution

Reste la grande distribution, dont les représentants présents au débat ont défendu l'action. Pas de « trésor caché » chez nous, assure ainsi Alexis Waravka, directeur digital et compétitivité pour Independent Retail Europe, l'association européenne des distributeurs indépendants. « Nos marges actuelles sont faibles, puisqu'elles sont de l'ordre d'1,6 % en France, 1,3 % en Belgique, 1,4 % en Italie, bien moins que dans d'autres secteurs économiques », dit-il.

À défaut de défendre les producteurs, « nous avons protégé les consommateurs », ajoute-t-il. D'ailleurs, c'est plutôt, selon lui, vers les quelques multinationales de la transformation dominant le marché qu'il faut se tourner pour chercher le butin : « Elles ont des marges de 10 à 25 % », indique-t-il.

Un état des lieux qui reste flou, cependant, et qui, compte tenu du faible pouvoir de négociation des producteurs, n'est pas de nature à les rasséréner.

Une PAC qui privilégie encore les grandes exploitations

La PAC, enfin. Certes, selon certains calculs, 80 % des aides sont captées par 20 % des agriculteurs, puisque la politique commune privilégie encore, malgré certaines mesures redistributives, les versements aux plus grandes exploitations. Qu'à cela ne tienne. Rien n'empêcherait le système d'évoluer et « de prévoir des subventions afin d'inciter les agriculteurs à produire des denrées plus vertueuses pour l'environnement, plus saines et à des prix abordables », estime Camille Perrier, au nom des consommateurs.

Certaines avancées ont déjà été faites, et d'autres, sous d'autres formes – subventions pour l'action des agriculteurs en faveur de l'environnement, notamment – peuvent être renforcées, indique Jean-Luc Demarty. L'outil doit en tout cas mieux servir la transition de l'agriculture européenne qu'il ne le fait actuellement.

Des clauses miroirs dans les accords commerciaux

L'ancien directeur général du commerce extérieur assure, en outre, que si des clauses miroirs sont nécessaires dans les accords commerciaux, afin de protéger les producteurs européens d'une distorsion de concurrence, due notamment aux produits phytosanitaires utilisés, « jamais l'agriculture n'a été la variable d'ajustement dans les négociations de traités de libre-échange ».

Et attention à ne pas exiger une réciprocité totale, sinon les subventions de la PAC, inconnues dans certains pays, pourraient être reprochées à l'Europe...

Seule solution : une meilleure compétitivité

Autant d'arguments partisans qui laissent certains des participants au débat sur leur faim. En fait, une seule proposition, avancée par plusieurs d'entre eux, de Maïwenn Le Pierrès Bullier, directrice générale de Cerafel (association de producteurs qui regroupe sept coopératives bretonnes et dont les légumes sont commercialisés sous la marque Prince de Bretagne), à Alexis Waravka, pour les distributeurs indépendants, en passant par Rémi Cristoforetti, président de l'Association bretonne des entreprises agroalimentaires et directeur général de la coopérative Le Gouessant, a fait l'unanimité : celle de l'amélioration de l'efficacité (et donc de la compétitivité) tout au long de la chaîne de valeur. Du champ à la fourchette, donc.

Économies d'échelle, investissements, poids accru

Mais comment ? En se regroupant, d'abord, selon la représentante de Cerafel/ Prince de Bretagne. « Des forces communes permettent de faire des économies d'échelle, mais aussi d'investir dans la recherche pour mieux répondre aux besoins du marché. De quoi rendre les organisations plus compétitives, sans oublier qu'elles acquièrent ainsi un poids plus lourd dans les négociations avec les transformateurs et la grande distribution », dit-elle.

Augmenter la productivité

Une stratégie déjà en place chez certains distributeurs. En France, les indépendants – E. Leclerc, Intermarché, Système U –, qui rassemblent des propriétaires de magasins au sein d'un groupement, ont réussi ces derniers temps à mieux tirer leur épingle du jeu que les groupes intégrés, comme Carrefour ou Auchan.

Mais il s'agit aussi « d'absorber la hausse des coûts, d'augmenter la productivité de toute la chaîne », déclare le directeur digital et compétitivité d'Independent Retail Europe.

Nouvelles technologies, numériques notamment, et nouvelles organisations sont sans doute à mettre davantage en œuvre. « Notre but est l'efficacité, conclut Rémi Cristoforetti, de la coopérative Le Gouessant. Il ne s'agit pas d'une industrialisation à tout va de l'agriculture européenne. »

Autrement dit, l'Europe veut garantir sa souveraineté alimentaire, lutter aux premières loges contre le dérèglement climatique, mais sans perdre son âme – ni ses petits producteurs.

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