Technique de l’insecte stérile (TIS) : résultats nuancés sur fraise

Ghais Zriki, ingénieur de recherche au CTIFL

« L’insecte stérile est un insecte en forme, qui peut se déplacer et manger, mais ne peut pas se reproduire », précise Ghais Zriki, ingénieur de recherche au CTIFL de Balandran.

Crédit photo CTIFL
Avec le projet Ecophyto Suzukiiss:me, des lâchers de mâles stériles en condition contrôlée sur fraisiers ont limité la perte de fruits à seulement 13 %. Malgré des résultats positifs, des freins logistique et financier à l’élevage massif de cet insecte empêchent encore son déploiement à grande échelle.

En 1963, le Japon a complètement éradiqué la mouche de melon Zeugodacus cucurbitae avec la technique de l’insecte stérile (TIS). La méthode consiste à « inonder la population sauvage du ravageur cible avec des mâles stériles de la même espèce pour diminuer, voire enrayer, la croissance de la population sauvage », explique Ghais Zriki, ingénieur de recherche au CTIFL de Balandran.

La TIS a prouvé son efficacité contre plusieurs espèces d’insectes ravageurs, tels que les carpocapses de pommier. En 1990 au Canada, un programme de lutte intégrée incluant la TIS a permis aux arboriculteurs de réduire l’utilisation des insecticides par plus de 94 %, six ans après le démarrage du projet.

En France, la mouche aux ailes tachées, Drosophila suzukii, cause des dégâts considérables sur fruits rouges et petits fruits à noyaux depuis sa première détection en Europe il y a 15 ans. La fécondité du ravageur se chiffre à 400 œufs par femelle et elle se multiplie très rapidement, « jusqu’à une génération toutes les deux semaines » selon le CTIFL.

Manque de méthodes alternatives

Les traitements chimiques sont aujourd’hui la principale stratégie pour limiter les dégâts de D. suzukii et les méthodes de contrôle alternatif sont pour l’heure insuffisantes.

Ainsi, Drosophila suzukii se positionne en candidate idéale pour la TIS. En effet, une équipe de chercheurs du CTIFL de Balandran et de l’Inrae se penche depuis 2021 sur cette méthode de biocontrôle en fruits rouges (fraise, framboise et cerise) avec le projet Ecophyto Suzukiiss:me.

« L’éradication pour les espèces largement distribuées telles que D. suzukii est très difficile, voire impossible », appuyait Ghais Zriki lors des journées techniques au CTIFL de Lanxade, en novembre dernier. En revanche, la TIS permettrait de contrôler le ravageur localement.

Diminuer la population sauvage fertile

Pour appliquer cette technique sur la mouche aux ailes tachées, les chercheurs ont d’abord dû produire ces insectes en quantité. C’est au stade de pupes que les insectes sont exposés à des rayons ionisants pour induire la stérilité chez les adultes, qui sont ainsi incapables de se reproduire. Après une étape de sexage, seuls les mâles stériles sont conservés pour être lâchés sur le terrain.

« L’insecte stérile est un insecte en forme, qui peut se déplacer et manger, mais ne peut pas se reproduire », précise l’ingénieur de recherche. Ainsi, lorsque les mâles stériles sont relâchés au sein d’une population sauvage et qu’ils s’accouplent avec des femelles fertiles, leurs œufs sont inviables. Par conséquent, la densité de la population sauvage fertile diminue.

oeufs drosophila suzukii
La fécondité du ravageur se chiffre à 400 œufs/femelle et elle se multiplie très rapidement, « jusqu’à une génération toutes les deux semaines » selon le CTIFL.
Crédit photo : JF. Mandrin/CTIFL

« Il faut introduire entre 20 et 40 mâles stériles pour chaque mâle fertile », précise Ghais Zriki. Basés sur ce ratio, les premiers essais du projet Suzukiiss:me ont été réalisés en 2022 sur des fraisiers en serre confinée.

Pour 10 couples de mouches fertiles, entre 100 et 200 mâles stériles étaient lâchés de manière hebdomadaire dans des tunnels expérimentaux. Les tunnels témoins étaient quant à eux artificiellement infestés de 10 couples fertiles.

Seuls 13 % de fruits infestés avec la TIS

Résultat : les mâles stériles ont drastiquement limité la population de Drosophila suzukii et, par conséquent, le taux de fruits infestés à hauteur de 40 %. En effet, au bout de cinq semaines de lâchers, le taux moyen de fruits infestés était proche de 13 % tandis qu’il atteignait un peu plus de 50 % dans les tunnels témoin, sans la TIS.

Les essais se sont poursuivis en 2023 dans des tunnels de fraisiers ouverts, en conditions réelles chez quelques producteurs du Gard et du Vaucluse. Sur chaque site, le CTIFL a suivi les taux de fraises infestés par les larves de D. suzukii dans deux tunnels : un tunnel témoin (sans intervention) et un tunnel TIS (avec lâchers hebdomadaires des mâles stériles).

Réaliser des lâchers plus tôt dans la saison

À cause de contraintes logistiques, le ratio de mâles stériles/mâles fertiles était bien plus faible que celui recommandé, diminuant ainsi l’effet de la TIS sur la réduction des taux de fruits infestés. Cependant, ces essais ont permis aux chercheurs de définir les principaux facteurs défavorables à l’effet des mâles stériles sur la population sauvage.

« Il faudrait faire des lâchers plus tôt dans la saison au moment de la sortie des femelles sauvages de leurs sites hivernaux », ajoute Ghais Zriki. En effet, avec le réchauffement climatique, les mouches sortent de leur hibernation de plus en plus tôt.

L’ingénieur de recherche indique aussi qu’il « serait judicieux de faire des lâchers de mâles stériles dans les serres, mais également autour des serres pour qu’ils rencontrent les femelles fertiles entrant dans les tunnels ». Ces facteurs seront pris en compte lors de la réalisation de prochains essais chez des producteurs prévus en 2024.

Des freins logistiques et financiers

Malgré des résultats peu concluants en conditions réelles, l’équipe du CTIFL reste optimiste : « Il s’agit du premier essai TIS sur Drosophila suzukii en France. » Cette méthode de biocontrôle compte seulement huit ans de recherche française alors qu’il « a fallu 17 ans afin de mettre au point la TIS pour la mouche méditerranéenne C. capitata », nuance Ghais Zriki.

D’autre part, même en ayant fait preuve du concept en cultures sous abris, il reste à surmonter les freins logistiques, notamment pour l’élevage en masse, le stockage et le transport de Drosophila suzukii.

« Pour le moment, les producteurs d’insectes français ne souhaitent pas s’engager sur le marché de la TIS à cause de l’incertitude de son adoption par les producteurs, au moins dans un futur proche », indiquait Ghais Zriki.

De plus, l’ingénieur de recherche a précisé qu’il s’agit d’une technique de lutte très coûteuse dans le stade initial de développement et le manque de moyens financiers freine son développement.

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