Québec : des vignes sous serres pour produire du vin à tout prix !

Le domaine Carpinteri, à Saint Ulric en Gaspésie, cultive des cépages internationaux sous serre intelligente

Crédit photo Stéphane Badet
Au Québec, des vignerons défient les hivers glacials en cultivant des vignes sous serres. Cette stratégie, adoptée notamment par le domaine Carpinteri en Gaspésie, permet de cultiver des cépages internationaux dans un environnement contrôlé. Cette approche singulière suscite l'intérêt des touristes, mais soulève aussi des questions sur l'impact environnemental et la pertinence de produire du vin à tout prix dans des conditions climatiques extrêmes.

Bien que les vignobles québecois s’étendent sur près d’un millier d’hectares et se positionnent entre la latitude de Bordeaux (45e) et de la Côte-d’Or bourguignonne (47e), les conditions climatiques sont très différentes entre ces vignobles.

Outre-Atlantique, les hivers peuvent voir les températures descendre au-delà de - 40 °C. Les vignerons adoptent donc différentes stratégies pour se prémunir de ces froids extrêmes en enterrant les pieds ou en plantant des cépages résistants issus d’hybridations par différentes universités américaines (comme les frontenacs noirs, blancs… par l’université du Minnesota) ou des cépages français anciens (maréchal foch, vidal…).

Une production multipliée par 5

Le marché canadien étant dynamique, le changement climatique laissant entrevoir des conditions plus favorables dans les décennies à venir, les investissements y sont forts et le vignoble québecois croît très rapidement au point que la production pourrait être multipliée par 5 d’ici 10 ans.

Mais face au risque de grand froid toujours bien présent, allié à la volonté parallèle d’aller vite et de planter des cépages internationaux demandés par les consommateurs, certains vignerons optent pour une stratégie singulière : ils plantent des vignes sous serres.

Ainsi, le vignoble Zyromski, à Rivière-Rouge, ou le domaine Carpinteri, à Saint-Ulric en Gaspésie, cultivent des cépages internationaux à fin de cuve sous serres intelligentes.

Un petit bout de Toscane sous serres

Situé au-delà du 48e parallèle, le domaine Carpinteri est considéré comme le vignoble le plus nordique du Québec. On y compte, pas moins de 17 serres, où 14.000 pieds sont plantés depuis 2015 dans le sol naturel, selon des densités de plantation classiques, où tout (eau, engrais, température, hygrométrie…) est contrôlé, permettant ainsi la production moyenne de 80.000 bouteilles par an, ce qui en fait le plus grand vignoble sous serres du Canada et peut-être même au monde.

Si cette conduite est désormais bien connue pour le raisin de table, ici ce sont bien des merlots, cabernets, pinots, rieslings, cépages italiens dont les fruits sont destinés à la vinification.

Tony Carpinteris homme d’affaires installé en Gaspésie mais d’origine italienne, rêvait pour sa retraite de faire quelque chose dans cette région touristique de l’est du Québec et rêvait surtout de vin et d’Italie. Il s’est donc offert, il y a une vingtaine d’années, un petit bout de Toscane au Québec.

Sur le site d’une ancienne fraisière de 12 ha, il a construit un ensemble de bâtiments d’accueil (épicerie fine italienne, hôtel, restaurant…) de type toscan et a planté de la vigne.

Mais avec une température moyenne de 13 à 15 degrés l’été, on est bien loin des conditions naturelles de la Toscane ! Les cépages résistants seront donc installés en extérieur (17.000 plants pour produire des spiritueux) et les cépages nobles d’origines française et italienne sous serres, avec l’objectif annoncé de s’approcher du climat toscan dans les serres, en reproduisant les conditions météorologiques de la Toscane au jour le jour. 

À la dégustation, les vins proposés présentent cependant des profils aromatiques bien différents des toscans, prouvant ainsi que le choix des cépages et le contrôle du climat ne suffisent pas pour expliquer l’équation complexe de la typicité des vins de qualité. Les vignes apparaissent comme très vigoureuses et les rendements sont élevés, deux fois plus élevés même que les résistants en plein air.

Une expérience qui attire les touristes

Le domaine Carpinteri a fait de cet investissement original et coûteux, à l’empreinte environnementale importante, un objet de curiosité mêlant à la fois l’image de l’Italie et l’originalité de vignes sous serres, pouvant drainer l’été jusqu’à 500 personnes par jour.

Malgré un coût de revient très élevé, et des prix de vente en direct s’affichant entre 20 et 40 dollars canadiens par bouteille (entre 14 et 28 euros), ce flux touristique de Canadiens et d'Américains, désireux d’un voyage en Toscane à moindres frais, lui permet de commercialiser une majeure partie de sa production à la boutique.

Le domaine présente une gamme complète de 11 vins (6 rouges, 4 blancs et 1 rosé) issus de raisins produits à 100 % sous serres.

La réussite technique et commerciale ne doit cependant pas occulter la question principale : doit-on produire à tout prix du vin, même en conditions climatiques aussi hostiles ?


Par Stéphane Badet, qui collabore régulièrement avec Viti. Professeur d'économie et de marketing au lycée de Blanquefort, il est aussi membre de l'Agence de coopération internationale Interco Aquitaine.

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