Grêle : en quête de la solution au meilleur rapport efficacité/prix

Études et experts s’accordent à placer le filet paragrêle comme la meilleure protection contre la grêle. Son coût rédhibitoire et la réglementation poussent néanmoins des vignerons à s’organiser en collectif et à opter pour l’ensemencement des nuages.

Dans une récente interview accordée à Viti, Grégoire Pigeon de Météo France estimait que la meilleure solution pour protéger les vignes des dégâts de la grêle était, à ce jour, les filets. Dans les domaines bourguignons testant la technique de manière expérimentale, les résultats sont effectivement convaincants comme l’explique Charlotte Huber de la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne. « En 2015, sous l’impulsion d’un groupe de vignerons, une demande a été portée devant l’INAO pour tester les filets anti-grêle.

La pratique n’est pas acceptée pour les vignes de cuve. Avant d’éventuellement modifier la réglementation, l’INAO souhaite évaluer la physiologie et la santé de la vigne, la maturation des raisins, la qualité du vin en Bourgogne. Des suivis sont donc mis en place jusqu’en 2018 dans une vingtaine de domaines. L’année dernière, des rangs expérimentaux protégés ont été touchés par la grêle au printemps ; il n’y a pratiquement pas eu de dégâts. C’est très satisfaisant mais, si la protection est un jour autorisée, le coût pourrait être un frein. Actuellement, il faut compter entre 15 000 et 30 000 €/ha pour poser un système paragrêle. » En Bourgogne, vignoble régulièrement touché par la grêle, d’autres mesures de protection moins onéreuses sont donc mises en place.

Des réseaux de générateurs d’iodure d’argent

Fondée dans les années 1950, l’Anelfa, association loi 1901 portant sur l’étude et la lutte contre les fléaux atmosphériques, porte la modification du temps par ensemencement des nuages comme une solution pour réduire les dommages liés aux chutes de grêle. Depuis plus d’un siècle, des études tendent à prouver qu’il est possible de modifier artificiellement la croissance des grêlons dans un orage en y introduisant de l’iodure d’argent. La molécule a la capacité d’initier la formation des grêlons. En multipliant les noyaux de congélation dans les nuages, le nombre de grêlons augmente, entraînant ainsi une diminution de leur taille et de l’intensité de la chute de grêle.

Un rapport efficacité/prix satisfaisant

Partant de ce postulat, l’Anelfa développe une méthode de traitement des orages basée sur la mise en place de réseaux de générateurs au sol d’iodure d’argent. Plus de vingt réseaux sont d’ores et déjà formés. Celui de Bourgogne s’est constitué en 2014 avec quarante générateurs repartis sur les vignobles des côtes de Beaune (21) et des côtes châlonnaises (71). Trois ans plus tard, l’ensemble du vignoble de Bourgogne et du Beaujolais est couvert par 143 générateurs.

Les canons à ondes, même s’ils n’ont pas la caution de l’OMM, sont disponibles. La société Spag en propose. Un canon coûte 35 000 euros. Toutes les 7 secondes, des explosions générées par un contact air-acétone émettent des ondes sonores. Déclenché 20 à 25 minutes avant l’arrivée de la cellule orageuse, le canon permet, selon Spag, de déstabiliser  les grêlons dans un rayon de 500 mètres autour du  canon soit une surface d’environ 80 ha. Photo : SPAG

« Depuis une dizaine d’années, la fréquence et l’intensité des orages de grêle augmentent. Nous avons compté, entre 2001 et 2013, sur Volnay, cinq épisodes de grêle. Sur les 50 années précédentes, il y en avait eu seulement huit. On ne pouvait pas rester les bras croisés, explique Thiébault Huber, gérant du domaine Huber-Verdereau mais aussi l’un des initiateurs du réseau Arelfa (Association régionale d’etude et de lutte contre les fléaux atmosphériques) Bourgogne. L’ensemencement n’est pas une garantie "zéro grêle". Huit jours après la mise en route des premiers générateurs, des zones couvertes ont été touchées. Pourtant, la plupart des vignerons qui avaient subi des dégâts étaient d’accord pour dire que sans l’ensemencement les dommages auraient été pires. »

Deux fois plus selon l’Anelfa qui estime que si le dispositif est mis en fonctionnement dans les zones et les délais recommandés, les dommages sont réduits de moitié. « Dans les faits, lorsque le risque de grêle dépasse une probabilité de 40 %, la société Keraunos qui suit l’évolution des grosses masses nuageuses prévient l’Anelfa qui a son tour envoie une alerte aux vignerons bénévoles. Les générateurs sont alors mis en route pour 6 à 12 heures. Même si tous les vignerons ne sont pas convaincus, il n’y a pas d’opposition pour participer au financement du réseau collectif. Le coût est raisonnable : 8 €/ha/an, collectés via l’ensemble des ODG de Bourgogne et du Beaujolais. »

Des ballons pour ensemencer les nuages

Au nord de la Côte-d’Or, dans le Châtillonais, un vignoble de 200 ha, c’est une autre méthode de lutte active qui a été adoptée pour les trois années à venir. « Laïco est un ballon, gonflé à l’hélium, emportant une torche pyrotechnique contenant des sels hygroscopiques. L’ensemencement ne se fait pas à partir du sol mais directement dans la cellule orageuse », introduit Christine Monamy, responsable agrométéo à l’interprofession des vins de Bourgogne. Comme l’iodure d’argent, certains sels peuvent être utilisés pour ensemencer les nuages.

2017 sera la première campagne de commercialisation pour Laïco. Le produit, imaginé par Lacroix et Selerys, se compose d’un système de détection du risque orageux (radar Skydetect) et d’une solution de lutte contre la grêle sous forme d’un ballon sonde libérant, dans les nuages, des sels hygroscopiques Photo : Selerys

« À la différence que les sels de sodium et de potassium ne génèrent pas des noyaux de congélation mais des noyaux de condensation, détaille Philippe Laborde de la société Lacroix, concepteur du système Laïco avec la société Selerys. Des molécules d’eau, sous forme liquide, se condensent autour des sels. L’ensemencent fait accélérer la formation de la pluie qui tombe plus vite et ainsi réduit la part qui se transformerait en glace, du coup il y a moins de grêlons initiés. »

Pour se distinguer des solutions existantes, Laïco mise aussi sur le système d’alerte. Le lancer des ballons est déclenché suivant les observations d’un radar installé au cœur du vignoble par la société Selerys.

« Avec son réseau de satellites et de stations au sol, Météo France propose des prévisions pour les 3 heures à 8 jours à venir et sur des mailles spatiales de plusieurs km². Le radar Skydetect, lui, observe les masses nuageuses locales en temps réel. Les données collectées, associées à un modèle mathématique, permettent d’anticiper l’arrivée d’une cellule orageuse sur un périmètre de 30 km autour du radar, explique Lucile Lallié, responsable commerciale Selerys. Lorsque le risque est confirmé, 30 minutes à une heure avant l’épisode de grêle, les viticulteurs bénévoles concernés par l’alerte lancent les ballons intelligents. La libération des sels dans les nuages est déclenchée par une carte électronique mesurant l’altitude et plusieurs autres paramètres comme l’hygrométrie. »

Une base de données pour mieux comprendre la grêle

Dans le Châtillonais, huit postes de lancement de ballon ont été définis pour cette première campagne d’utilisation. « Sans espérer qu’il grêle sur cette période, le BIVB évaluera la solution Laïco sur son efficacité, sa facilité d’utilisation et son coût », indique Christine Monamy. Il faut compter 350 € par lâcher de ballon, 1 200 euros pour l’achat du gonfleur et plusieurs centaines d’euros pour l’abonnement annuel aux services Skydetect.

« En parallèle des expérimentations sur les moyens de lutte actuellement disponibles, avec Météo France nous construisons une base de données historique recensant les épisodes de grêle sur la Bourgogne. Il faudra peut-être près de 30 ans pour en sortir des résultats statiquement significatifs. Mais ils permettront peut-être de mieux comprendre les orages de grêle et ainsi de se diriger vers les moyens de lutte les plus adaptés pour protéger les vignes », conclut Christine Monamy.

Ensemencement des nuages
L’efficacité ne fait pas consensus

La modification du climat par des interventions humaines est soumise à controverse, sur le plan éthique mais aussi sur le plan scientifique. Selon l’Organisation météorologique mondiale, l’institution des Nations Unies spécialisée dans l’étude de la météorologie et faisant autorité dans le domaine, les données scientifiques actuelles concernant l’utilisation d’iodure d’argent ou de sels pour ensemencer les nuages et réduire les dommages liés à la chute de grêle ne permettent pas de conclure quant à l’efficacité des procédés. Dans ses rapports, l’agence pointe du doigt le manque de connaissances mais ne ferme pas la porte à ces techniques. Il n’en est pas de même concernant les canons à ondes. Pour l’OMM, ce dispositif « n’a pas de base scientifique et ne repose sur aucune hypothèse physique crédible. »

Article paru dans Viti hors-série Les Enjeux de mai 2017

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