De qui se moque la grande distribution ?

« Une fois de plus, la grande distribution trouve le moyen de faire pression sur le prix payé au producteur ! », tonne Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits. La raison de son courroux ? La multiplication, par les enseignes, de démarches de valorisation de fruits et légumes hors standards.

Souvenez-vous : les 21 et 22 mars derniers, les fruits et légumes moches investissent l’Intermarché de Provins, en Seine-et-Marne. Traités comme une variété à part entière, avec leur propre étiquetage et un corner dédié, ces fruits et légumes présentant des défauts de forme ou de coloration, hors-calibre, fendus ou boisés, sont mis en avant dans une habile campagne de réhabilitation. Moches, certes, mais pas moins bons, et, surtout, jusqu’à 30 % moins chers que le premium, soit 15 à 20% moins cher que le cœur de gamme. Quelques 1 200 kilos sont écoulés en deux jours : savoureux succès pour cette opération orchestrée par l’agence Marcel (Oasis, Contrex).

Sourcer du biscornu

Quelques semaines plus tard, on assiste à l’essor des Gueules cassées©, démarche coordonnée au niveau national par Sols & Fruits, une association de courtage créée il y a 18 mois. Derrière Sols & Fruits, ses 108 producteurs et ses 6 000 tonnes, se trouve Renan Évan, ancien de chez Leclerc et coordinateur pendant plus de six ans de la démarche du Petit Producteur ©. L’idée de départ « vient de la fraise Darselect »: une variété très intéressante sur le plan gustatif qui souffre de problèmes de pollinisation aboutissant régulièrement au développement de fruits déformés.  

« On a simplement voulu donner à certains fruits la possibilité d’être valorisés sur le marché du frais. L’essentiel étant qu’ils soient bons, même s’il est compliqué fournir des volumes réguliers, puisqu’on ne décide pas de produire des invendables ! »

Sols & Fruits propose, sous la marque des Gueules cassées, tous types de fruits présentant des défauts d’aspect, mais aussi du brut de cueille en cerise. « On enlève une partie très importante du coût de revient qui est le calibrage. La rémunération est 10 % inférieure à la catégorie 1, mais le producteur passe la totalité de l’arbre. »

L’objectif principal, selon Renan Évan, est de « faire évoluer les consciences au niveau de l’agréage de certaines enseignes ». Mais l’intensité avec laquelle la grande distribution s’engouffre dans la démarche rappelle qu’elle en est elle-même à l’origine ! Un acheteur fruits et légumes d’une grande enseigne explique même devoir « sourcer les fruits et légumes biscornus » dans le cadre de cette « opération de communication » pour laquelle les enseignes mettent les bouchées doubles. Leur campagne, décalée, s’inspire de celle du plan Antigaspi lancée il y a un an par le gouvernement et qui avait déjà meurtri, à l’époque, certains producteurs de fruits et de légumes.

Producteurs accusés 

Très vite, la presse et les réseaux sociaux s’emparent du phénomène. Mais le propos se caricature tout seul. La France entière frémit, tandis qu’un accusé revient souvent : le producteur. Ainsi, sur Europe 1, Yolaine de La Bigne s’indigne un matin de ce que « certains produits sont mis sur la touche par les cultivateurs parce qu’ils supposent qu’ils ne séduiront pas le consommateur. »

Isabelle Martinet, dans Télématin, s’étonne des chiffres : « 30 % des fruits et légumes - c’est énorme ! - ne vont pas du champ à l’assiette ! […] Mais avec cette démarche, le producteur s’y retrouve puisqu’il ne jette plus ces 30 % ! »  Sur Internet, les consommateurs s'emportent : 

«Ce qui est scandaleux c'est que plutôt de donner à des associations, ces fruits et légumes tordus, les agriculteurs préfèrent les détruire ! »

Alors les producteurs s’agacent. « Perdre de la marchandise produite impacte durement le compte de résultat, explique Daniel Sauvaitre, président de l’ANPP. La motivation pour limiter les pertes au maximum est constante puisque la sanction économique de la mauvaise gestion est implacable. » Luc Barbier, président de la FNPF, rappelle d’ailleurs que nombre de fruits grêlés sont valorisés dans l’industrie.

Les GMS participent à la dégradation des produits

« La standardisation sur la qualité visuelle des produits est une demande de la grande distribution. Pourquoi revient-elle sur un travail qu’elle mène depuis plus de 50 ans, si ce n’est pour nous mettre la pression sur les prix ? », questionne Luc Barbier, qui rappelle le système de distribution actuel, qui repose sur la massification, participe à une certaine dégradation des produits.

« De plus, proposés en libre-service, les fruits sont tâtés, pressés, palpés des centaines de fois par jour, ce qui participe aussi à leur dégradation : il y aurait aussi des efforts à faire à ce niveau-là », conclut le président des producteurs de fruits.

Fleur Masson 

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