Une pluralisation des modèles agricoles en France

Bertrand Hervieu, sociologue spécialiste des questions rurales et agricoles, et président de l'Académie d'agriculture. Photo : AAF
Le 26 septembre dernier, l'Académie d'agriculture de France a tenu sa séance solennelle de rentrée. L’occasion pour Bertrand Hervieu, sociologue spécialiste des questions rurales et agricoles, et président de l'Académie, d’attirer l’attention sur deux chiffres : 1,8%, c'est la part des exploitants et coexploitants agricoles dans la population active française ; et 437 000, c'est le nombre des exploitations agricoles en France en 2016 (intervention complète ici). « La baisse du nombre des exploitations correspond en même temps à un processus massif de diversification et d’éclatement des formes de l’exploitation elle-même. Moins il y a d’exploitants et d’exploitations, et plus le monde agricole se désarticule », a observé Bertrand Hervieu, développant son analyse sur trois points.
 
Sur la question démographique, les agriculteurs constituent aujourd’hui une minorité professionnelle, encore fortement identifiée, mais moins nombreuse que d’autres (santé, transports ou éducation), a-t-il poursuivi. « Ce qui singularise le cas des agriculteurs, c’est qu’ils sont les seuls à être une minorité issue d’une majorité, et même d’une majorité absolue : c’était encore le cas au début du XXe siècle. » Par un « retournement cruel » de l’histoire, l’accès à l’abondance de la production agricole a renversé le regard collectif porté sur le monde agricole, a évoqué le sociologue. « Pendant des siècles, dans des sociétés où dominait, après la peur des famines et des disettes, la crainte des pénuries, le monde agricole fut regardé comme le lieu de la production par excellence. En rendant l’abondance ordinaire et banale, les progrès de l’agriculture ont radicalement désenchanté l’activité des agriculteurs, soumise même désormais, de façon de plus en plus insistante et partagée, à l’évaluation de son coût écologique et environnemental. »
 
Avec 437 000 exploitations agricoles en 2016, la baisse avoisine les 2% par an sur les six années précédentes, et les projections à dix ans laissent attendre une poursuite du mouvement, rappelle Bertrand Hervieu. « Entre le maintien fragile des exploitations familiales traditionnelles, dont beaucoup sont promises à disparaître, le développement massif des formes sociétaires, et la percée – encore modeste mais réelle – d’une agriculture de firme alignée sur les règles mondialisées du capitalisme international, il faut aussi mentionner un phénomène de création d’exploitations, qui ne sont pas des reprises et qui sont le fait d’acteurs non issus du monde agricole, souvent à la recherche d’une alternative aux modes de production et de consommation dominants. Ce dernier modèle, de portée économique faible, n’en est pas moins un lieu au sein duquel s’expérimentent des approches innovantes du travail, des techniques, de la coopération, des échanges et du lien social à l’échelle local. Il faut se garder de sous-estimer son impact culturel dans les représentations et les attentes que la société développe à l’égard de l’agriculture. »
 
Ainsi donc, la pluralisation de ces différents modèles fait émerger en France, depuis une trentaine d’années, un paysage diversifié de cultures et d’économies agricoles en tension entre elles, a conclu le président de l’Académie d’agriculture, qui recommande aussi d’abandonner définitivement une vue franco-centrée de la question agricole, pour la comprendre au niveau du jeu des dynamiques mondiales. « C’est seulement dans cette réinscription, que la question agricole, en France et en Europe, peut être efficacement mise en perspective. »

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